VERRE D’EGYPTE ET TECHNIQUES DE FABRICATION NEPALAISE :
Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques.
Joëlle ROLLAND, Yves LE BECHENNEC, Joël CLESSE, Stéphane RIVOAL.
Depuis 1995, une succession d’opérations d’archéologie préventive menée sur le village
d’artisans gaulois de Bobigny, Seine Saint-Denis (93), a mis au jour 51 bracelets en verre
majoritairement fragmentaires. Mieux comprendre leur diversité typologique, leur donner tous leurs sens
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sociaux, exigent d’aller aujourd’hui au delà de la « simple » typologie pour accéder à une véritable
techno-typologie justifiée par des hypothèses crédibles sur les chaînes opératoires successives. Cela
implique de passer d’une logique de dessins et de photos de ces objets à une logique de re-fabrications
documentées par des séquences filmées autorisant la critique de chaque point des protocoles. Cela ne peut
se faire qu’avec une équipe où, aux côtés des archéologues, s’associent verriers expérimentateurs et
vidéastes, mais aussi, on le verra rapidement, à terme des anthropologues. Loin d’être une présentation de
résultats définitifs, cet article est un premier point d’étape de la démarche en septembre 2010. Depuis
cette démarche s’est poursuivie et fera l’objet d’une présentation lors des journées de l’Association
Française pour l’Archéologie du Verre, à l’automne à Metz.
Le site de la bourgade artisanale de Bobigny se compose de six chantiers d’archéologie
préventive, les opérations ont été menées par les équipes du Conseil Général de La Seine Saint- Denis et
de l’INRAP. Tous les sites livrent des traces d’habitat de la Tène C et D. Tous les sites livrent, à des
degrés divers, des indices liés au traitement des défunts. Deux sont des nécropoles réoccupées ensuite par
de l’habitat. La nécropole de l’hôpital Avicenne avec plus de 500 tombes à inhumation constitue un des
éléments majeurs pour apprécier le rang hiérarchique du site. Les fragments de bracelets découverts
seuls, ou groupés, proviennent de structures d’habitats (fosses, caves abandonnées et surtout fossés).
Seuls 3 fragments proviennent de sols d’occupation
Cette collection de parures en verre est sans comparaison régionale. En revanche, elle est
comparable par son ampleur, et peut-être par le type de site la produisant, à la riche collection issue des
opérations de fouille sur le site de Lacoste en Gironde étudiée sous la direction de Christophe Sirex. Ces
ensembles restent très inférieurs en nombre au site de référence pour la Gaule qui est le dépôt du
sanctuaire de Mandeure.
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Verre d’Egypte et techniques de fabrication népalaise :
Bobigny gaulois étudie ses parures annulaires protohistoriques.
Une rapide observation des bracelets en verre mis au jour à Bobigny amène quelques remarques.
Si l’on admet que les contextes dépositionels (100 % de remblais) ne présentent pas trop de
difficultés chronologiques (MARION, METROT, LE BECHENNEC 2005), ce que semble confirmer les très
nombreux tessons céramiques associés, où on note une assez faible part de tessons résiduels, on peut
considérer que la majorité des individus appartiennent au IIe siècle avant notre ère. En cela, ils s’intègrent
bien aux grands cadres chronologiques proposés tant par l’équipe du site de Manching (Bavière) que par
les équipes Tchèques (N. Vençlova).
Le site de Bobigny, dans l’état actuel de l’étude ne livre aucune attestation d’atelier de verrier. En
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cela, il ne se distingue pas des autres sites de découverte de bracelets sur le territoire hexagonal.
Toutefois, aller plus loin dans notre analyse exige de renforcer notre raisonnement par deux voies
d’approches. L’une est la reprise un à un des arguments de datation des contextes. Cette voie est dans
l’attente de l’étude des fibules en fer des tombes récentes de la nécropole, et de la restauration des
fragments de 15 fibules en fer associés directement aux remblais dont sont issus les fragments de
bracelets, l’autre est la construction d’une techno-typologie plus explicite que « bracelet bleu de forme
large », « bracelet translucide de forme étroite ». Une classification simple qui reste pour l’instant un des
arguments les plus souvent utilisés (et qui ne manque d’ailleurs pas de pertinence pour distinguer les
bracelets du début du IIe siècle et ceux de la fin de ce siècle).
Remarquées depuis les travaux de Joseph Déchelette et plus récemment d’Elisabeth Théa
Haevernick, il existe dans le corpus des bracelets en verre protohistoriques, un certain nombre de grandes
césures typologiques très marquées. Il est à signaler qu’elles sont même extrêmement marquées et
interviennent dans un temps court qui excède de peu, par ses deux extrémités, le second siècle. Si on
compare cette évolution à celle des fibules en fer sur le même laps de temps, force et de constater que les
mutations des bracelets en verre sont graphiquement plus visibles.
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Brève caricature des évolutions typologiques visibles à l’œil.
Les IVe et IIIe siècles av.n-è. voient l’apparition de bracelets constitués d’un anneau de verre
transparent puis vert. Ces anneaux sont des joncs simples à profil en D. Pour la fin du IIIe siècle, ils sont
décorés sur l’extérieur d’un fil de verre bleu pâle posé à chaud et formant des huit isolés ou des losanges
continus. La fouille de Bobigny livre un exemplaire intact d’un bracelet de ce type. Il est issu d’un
contexte problématique : le remplissage d’abandon d’une cave du IIe siècle. Ce remblai, déposé entre les
années 170 et 150 av.n-è., compte de nombreux ossements humains et des débris de fibules en fer. Ces
indices sont liés à la perturbation d’une dizaine de tombes de la nécropole de l’hôpital Avicenne par la
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mise en place du creusement de cette cave probablement après 170, puis par la destruction du bâtiment et
le comblement de la fosse par raclage des abords avant les années 140 av.n.è. Ceci illustre bien la
délicatesse des questions de datation d’objets erratiques et à plus forte raison de fragments de ces objets
dans un site à stratigraphies complexes. Hors, pour la Gaule, la majorité des bracelets, à l’exception du
site de Mandeure, sont issus de remblais provenant de sites à stratigraphie complexes.
Le second temps de l’évolution typologique est également celui des bracelets les plus
spectaculaires : les bracelets en verre bleu outremer à forme large et à la surface externe profondément
marquée. Ces marques dessinent des côtes successives. Parfois, la côte centrale est également marquée de
stries qui forment un décor de cordon. De plus la technique décorative testée à la période antérieure est
Fig. 1 Fragments de bracelet en verre groupe Hae 4 forme 9 séries geb 40
retrouvés sur le site archéologique de la Vache à l’aise, Bobigny (93).
VAC186/3. Photo © Emmanuelle Jacquot.
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aussi mise en œuvre sous la forme cette fois de filets jaunes ou blancs. Cependant, ceux-ci sont nettement
plus fins et posée en zigzag et non plus en 8. Le site livre plusieurs fragments de ces bracelets l’un des
plus beaux exemplaires est VAC 609/1. Toutefois, peu d’exemplaires complets dans leurs coupes sont
disponibles.
Rapidement, des bracelets plus réduits en largeur avec des marques moins profondes se
développent. Ces bracelets abondent dans la phase la plus représentée sur le site de Bobigny. Il serait
tentant de les dater, aux vues de la chronologie générale du site, entre 200 et 150 av.n-è. Ces bracelets ont
systématiquement pour matière principale du verre bleu outremer (cobalt). On ne peut que remarquer
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cette totale domination du verre bleu. Les verres jaunes ou blancs, dont tous les auteurs signalent le
caractère « bulleux », ne sont utilisés qu’en décoration. Les joncs des bracelets sont décorés de motifs
d’impression dont la diversité augmente.
Dans le même sens que cette diversification des décors d’impression, avec quelques décors
plastiques ou « bourgeonnants », on assiste à l’apparition de quelques bracelets, où les filets jaunes
particulièrement épais sont profondément enfoncés dans la surface du verre bleu.
Le tournant suivant pose problème. D’une manière particulièrement brutale, on assiste, passés les
années 150 av.n.è. à la quasi disparition du verre bleu. Il est remplacé par des verres décolorés, miels ou
pourpre. À Bobigny, pour cette phase, on assiste aussi à une très nette diminution du nombre d’individus
découverts. La typologie parait également se simplifier. Peu de types et des types où dominent des
formes étroites, des joncs simples, le système décoratif se limite à une couche de verre jaune déposée à
l’intérieur du bracelet, ou de la perle.
Des bracelets à joncs simples de couleur miel et pourpres puis noirs continueront à être fabriqués
pendant l’époque romaine, certains continueront à présenter des décors à côtes.
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Le pourquoi d’un programme de recherches pluridisciplinaires en archéologie démonstrative
Retravailler en 2009 la question de la typologie des bracelets en verre protohistoriques, a, il nous
semble, trois enjeux scientifiques et deux enjeux sociaux. Le premier des enjeux scientifiques est de
construire des groupes technologiques sur des bases qui croisent regard des archéologues et expérience
des verriers. Il s’agit là de repérer de réelles césures technologiques dans une évolution très rapide des
types et des manières de faire.
Le deuxième est, toujours sous ce regard croisé, de tenter d’esquisser des filiations entre ces
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groupes. Il s’agit donc de deviner des chaînes opératoires éprouvées par des expériences critiquables, car
documentées.
Le dernier objectif scientifique est de proposer, à terme, les bases pour un croisement possible entre
ces groupes technologiques et le programme d’analyse physico-chimique en cours de réalisation par le
laboratoire d’Orléans sous la direction de Bernard Gratuze. L’objectif étant de voir si les variations dans
la composition chimique des verres se croisent, ou non, avec des changements majeurs dans les chaînes
opératoires.
Deux enjeux sociétaux ensuite. Les brassards en verre protohistoriques, ont souvent été nommés
bracelets celtiques. La science, ces dernières décennies, a démontré leur fabrication à partir de verre
conçu en Égypte ptolémaïque. Ces objets sont donc, soit par leur matière, soit en eux-mêmes, les
marqueurs précoces d’un monde antique ouverts aux échanges. En cela, ils ont un double rôle, dans les
sites d’échange comme Bobigny ou Lacoste : ils rappellent la nécessité d’avoir à côté de ce qui doit être
la base économique réelle des échanges dans des sortes de comices agricoles, les produits du terroir, des
objets d’importations lointaines et aptes à faire rêver. Ils disent donc, pour toutes les périodes anciennes
l’attrait de l’ailleurs. Rappeler sans cesse cela dans une Seine Saint-Denis qui vit au quotidien la question
des racines et du rapport à l’immigré est donc fondamental.
Second enjeu sociétal, redire l’importance de l’apport de ces territoires de la périphérie parisienne,
au développement de débats sur les origines de Paris. Cela non seulement par des découvertes
archéologiques et leur publication, mais également en montrant que la recherche sous toutes ses formes,
et en particulier sous les formes les plus collaboratives, peut y trouver sa place. Pour cela la présente
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recherche s’inscrit dans un effort maintenu depuis 1992, celui de la création et du développement de
l’Archéologie sous toutes ses formes au sein du Conseil général de La Seine Saint-Denis.
Les premiers acquis du programme d’étude
Au printemps 2010, grâce à un partenariat avec la direction des archives de Pantin, un premier
temps de l’expérimentation a été initié. Des bracelets ont effectivement été fabriqués en marge de
l’exposition « Fer des gaulois en Seine Saint Denis » au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. La
mise à disposition de son atelier par le verrier d’art Stéphane Rivoal, a été la base pratique de ce premier
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travail. Cette première étape dans l’expérimentation a permis une découverte croisée, celle du
comportement à chaud du verre, pour les archéologues et celle des bracelets protohistoriques pour les
verriers. La compétence en termes d’expérimentation du verrier Joël Clesse a été précieuse et a permis au
projet un démarrage rapide. Il a aussi été l’occasion d’associer Annie Mercier ethnologue et vidéaste au
projet. Ce temps de débroussaillage a permis des avancées, une prise de conscience, et il a abouti à une
accélération du programme qui n’est pas sans causer quelques soucis.
S’il est admis que ces bracelets sont fabriqués dans un environnement technologique antérieur à
l’invention de la canne et du soufflage du verre, il existe cependant depuis les années 1950 et
probablement avant, plusieurs hypothèses concurrentes sur la manière de fabriquer un bracelet.
Les hypothèses voient, soit une perle initiale être élargie, soit l’enroulement d’un cordon de verre
chaud sur un mandrin cylindrique. Aucune de ces hypothèses ne documente la question de l’impression
de décor sur l’extérieur du bracelet ou encore de la dépose des filets décoratifs. D’autre part, les
hypothèses sont présentées le plus souvent sous une forme graphique schématique, sans cliché
photographique des diverses étapes ou de leurs résultats que ce soit en matière de produits finis, de ratés
de fabrication ou de déchets de production. Trois éléments différents qui pourtant devraient pouvoir être
produits si l’on veut espérer parler un jour des indices aptes à localiser un atelier de verrier. Enfin, notons
que la question de la structure de production, le four, n’est à notre connaissance que peu souvent abordée,
faute de découvertes.
A côté des fragiles hypothèses des archéologues, il existe un riche fond issu de l’ethnographie et
surtout de la capture filmique de séances de fabrication de bracelets, soit en Afrique soit en Asie. Enfin il
subsiste encore dans un certain nombre de pays, Israël, Inde, Népal, Nigeria, des traditions bien vivantes
et surtout des verriers qui pourraient éventuellement dans un second temps être mobilisés.
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L’article réalisé par Marc Gaboriau au Népal (GABORIAU 1977), complété par un film réalisé en
2002 par Marie Lecompte-Tilouine, permet de documenter le travail des népalis. Les verriers népalais
créent des bracelets en verre en élargissant une perle à l’aide de deux ferrets. Cette méthode est assez
proche de celle qu’utilisent les verriers de Bida au Nigeria et dont l’analogie avec les techniques de
fabrications celtiques avait déjà été faite par Elisabeth Théa Haevernick (HAEVERNICK 1960) et
documenté par René Gardi (GARDI 1970). En Inde, les méthodes de réalisation des bracelets en verre ont
été documentées par le travail de M.-D. Nenna, (FOY 2003), documentation qui a pu être complétée elle
aussi par un film (Wildfilindia.com).
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Les articles nous ont permis de mieux comprendre la place sociale de ces parures notamment en
Inde et au Népal. Marc Gaboriau décrit les bracelets népalais comme des objets de parures féminines,
réservés principalement aux femmes auspicieuses, jeunes filles et femmes mariées, qui les brisent en cas
de veuvage, lorsque leur statut change en celui de femmes inauspicieuses. Les marchands sont aussi
spécialisés dans l’enfilage des bracelets, le diamètre doit être le plus petit possible pour la main de la
femme, pour ne plus pouvoir être retiré. Ce sont donc des objets destinés à être portés longtemps, et
brisés volontairement. En Inde, le port de bracelet en verre a été peu à peu remplacé par le port de
bracelets en plastique, mais la production continue car ils sont utilisés lors d’une fête liée à
l’accouchement, Valaikappu, et que le bris de ces bracelets a gardé une symbolique forte.
Les artisans verriers népalais indiens et nigérians, possèdent des savoirs faire particuliers, ils sont
tous spécialisés dans la fabrication de ces parures, une spécialisation dont ils ont hérité. Au Népal et en
Inde, les artisans fabricants de bracelets sont connus sous le nom des Manihar, ou Churihar, ils forment
une communauté musulmane spécialisée dans la production et la vente de bracelets. Au Nigeria, les
verriers de Bida font partie des Nupe, ils ont le titre de Massaga, ils sont musulmans eux aussi, et
forment un groupe d’artisans fermé et familial.
Au Nigeria et au Népal, la technique de fabrication d’un bracelet en verre consiste à élargir une
perle autour d’un ferret. Pour cela, l’artisan enroule autour du ferret un cordon de verre, qui forme alors
une perle, ou cueille une quantité de verre qu'il va mettre en forme de disque et percer pour créer une
perle. Il va ensuite décoller cette perle du ferret et introduire dans son ouverture centrale un autre ferret
ou outil (grandes pinces au Nigeria) et élargir peu à peu l’anneau en exerçant sur lui des pressions
successives, des étirements de l’anneau, tout en le maintenant en rotation constante autour du premier
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ferret. À la différence des Népalais et des Nigérians, les indiens élargissent la perle grâce à un mandrin
conique. La perle placée à la pointe du cône est remontée vers sa base jusqu’au diamètre voulu.
Les films nous ont permis de nous documenter abondamment sur les techniques de fabrication.
Sans cette documentation filmée, il nous aurait été très difficile d’appréhender le travail de réalisation
d’un bracelet en verre. Le processus népalais utilisé pour décoller la perle du ferret ainsi que
l’agrandissement d’une perle autour d’un ferret qui permet de faire disparaître toute trace d’enroulement,
n’auraient pas pu être reproduit comme ils l’ont été.
Par ce riche fond ethnographique, ce sont aussi les structures de production de ces bracelets qui ont
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pu être documentées. Les nigérians et les népalais travaillent encore sur des fours à bois. Pour le Nigeria,
un système de soufflerie est utilisé, mais la structure du four n’a été que pauvrement décrite. Au
contraire, pour les fours népalais nous avons à notre disposition des plans dessinés par Marc Gaboriau,
mais aussi la fabrication de bracelets filmée par Marie Lecompte-Tillouine.
Fig. 2 Bracelet à décor de fils ajoutés et bracelet bicolore produits lors de
l’expérimentation. Photo © Stéphane Rivoal.
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Les avancées
Une des questions lancinante dans la littérature est l’absence de soudures visibles sur les joncs des
bracelets. Cette absence de soudure a intriguée les archéologues et aboutit à bien des questionnements. Il
était donc nécessaire dans un premier temps de supprimer cette soudure lors de la réalisation d’un anneau
de verre. Il est possible de former un bracelet sans soudure à partir d’une perle élargie grâce à un second
ferret, l’enroulement de la perle devient invisible à l’oeil avec l’élargissement de la perle. De la même
façon, il est possible d’élargir une perle sur un mandrin conique, ou cylindro-conique, et toute trace de
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soudure disparaît.
L’enroulement d’un cordon de verre chaud autour d’un cylindre, hypothèse couramment utilisée
pour décrire la fabrication des bracelets en verre dans l’historiographie archéologique, pose encore
quelques questions. Pour le moment, tous les bracelets produits de cette manière présentent une soudure
visible.
La réalisation de décors sur ces anneaux de verre fut le deuxième enjeu technologique de cette
expérimentation, et nous devons bien dire que nous sommes loin d’avoir acquis les techniques
nécessaires à la réalisation de tous les décors celtiques. Pour appliquer un décor à fil, l'extrémité d'un fil
de verre froid sera réchauffée à l’ouvreau et posé sur le verre chaud du bracelet à son diamètre final, afin
d’obtenir un fil de verre coloré en relief. La précision des zigzags décoratifs des bracelets du IIe siècle
av.n.è. n’a pas pu être atteinte pour le moment, elle semble être le résultat d’une main d’artisan
particulièrement experte et sans doute aussi d'une chauffe très localisée. Pour l’impression des côtes, il
est nécessaire que le bracelet repose entièrement sur un support, comme un mandrin conique ou
cylindrique, afin d’être imprimé. Un outil à trois lames parallèles a été testé afin d’imprimer des sillons,
créant des côtes. Un outil à trois lames peut créer un bracelet à deux côtes larges, ou un bracelet à deux
côtes larges centrales entourées de deux plus petites issues du débordement du verre hors des lames de
l’outil. L’impression doit être réalisée lorsque le verre est encore particulièrement chaud afin que les
côtes soient bien imprimées. Les profils de ces bracelets sont très proches des profils des bracelets en
verre celtiques présentant des décors à côtes. D’autres outils seront testés pour l’impression de ces
sillons.
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Après cette première séquence d'expérimentation réalisée dans un atelier de verrier contemporain,
il nous est apparu que la structure des fours actuels, leur volume, l'organisation de l'atelier et l'ergonomie
qu'elle impose, n'étaient pas appropriés pour poursuivre efficacement l'expérimentation.
D'une part la température dans le four (1130°C) inutilement élevée pour ce type de production et
d'autre part le rayonnement important de la masse de verre fusionnée (80 kg), obligent à travailler loin de
l'ouvreau et de la matière travaillée, avec des outils longs moins propices à une bonne maîtrise gestuelle.
Ces éléments concourraient ainsi à nous éloigner du four et de la matière alors qu'il convenait de s'en
rapprocher.
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Pour dépasser ces difficultés, une voie s'imposait à nous : construire un four plus petit, permettant de
chauffer de petites masses de verre et de travailler assis ou accroupis devant l'ouvreau, avec des outils
beaucoup plus courts. Une alternative se présente alors : travailler soit sur un four à gaz avec des pots et
les bénéfices de la technique moderne (température contrôlée et modulable, chauffe homogène dans
l'ensemble du laboratoire, verre propre non sali par des cendres ou du charbon), soit construire un four en
terre destiné à être chauffé avec du bois.
Nous avons finalement choisi d'explorer les deux possibilités : la première parce qu'elle permet de
travailler dans la durée et donc aux verriers de multiplier les essais, d'affiner leur gestuelle, et de
reproduire les mêmes opérations à différents paliers de températures pour observer pour chacun d'eux les
réactions de la matière. La seconde, parce qu'elle permet de se rapprocher des conditions de production
supposées de l'époque, d'expérimenter la chauffe d'un four au bois, de reproduire les hypothèses
techniques éprouvées sur le four à gaz.
Nous avons tenté l’expérience en mai 2010, dans une cour du Musée d’Art et d’Histoire de la ville
de Saint-Denis. Nous avons construit la copie approximative d’un four de verriers népalais. Ce four à
quatre ouvreaux, réalisé en terre, sans alandier et avec une ouverture en façade pour l’enfournement, a
fonctionné lors de trois séances et a été chauffé à chaque fois avant. Il s’est révélé très sensible au vent et
à son absence, il s’est aussi révélé très délicat à stabiliser en chaleur, enfin il a eu du mal à monter en
température. Le verre déposé dans des creusets a fondu de manière incomplète. La structure des bracelets
obtenus se révèle parfois très bulleuse. Celle-ci contient aussi de nombreuses cendres, morceaux de
charbons ou de terre. Nous avons utilisé uniquement la technique d’élargissement d’une perle avec deux
ferrets, celle des verriers népalais, pour travailler sur le four. L’utilisation de cette technique
d’élargissement, la température ne dépassant pas 1000°C, combinées avec la matière hétérogène,
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transforment la matière et laisse sur l’intérieur des bracelets, des traces longilignes semblables à celles
que nous pouvons observer sur les bracelets protohistoriques.
A l'été 2010, un petit four à gaz a été construit, permettant de travailler dans la durée et de
contourner, le temps de les régler, les problèmes de montée et de maintient des températures du four à
bois.
Les allers-retours réalisés d'un modèle de four à l'autre, ont créé une dynamique expérimentale très riche.
En travaillant sur les structures de production, en s’approchant le plus possibles des conditions de
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fabrications des bracelets en verre d’Europe celtique, l’objectif est double. Il s’agit à la fois de pouvoir
comparer au mieux les pièces produites en expérimentation avec les pièces archéologiques, mais aussi de
travailler sur d’autres produits : les déchets et rebuts de fabrications. Observer ces rebuts permettra de les
comparer avec des pièces de verre d’Europe, plus particulièrement avec les pièces des sites d’Europe
centrale comme Nemcice nad Hanou (VENCLOVA 2006), afin de se doter d’indices supplémentaires sur la
fabrication et les lieux de fabrications des bracelets en verre celtique.
En mettant à profit l’expérience d’artisans verriers de Seine-Saint-Denis et en la combinant avec les
techniques observées chez les artisans d’Inde, du Népal et du Nigeria, nous avons réussi à fabriquer des
bracelets en verre sans soudure. De cette réalisation de l’anneau, dépend l’application de décors. À partir
des césures typologiques apparaissent peu à peu des groupes technologiques, mais les raisons profondes
de ces groupes n’apparaîtront qu’avec la poursuite de l’expérimentation sur l’application des décors.
L’observation et la tenue de prise de notes régulières écrites et filmées, par l’ensemble de l’équipe,
archéologues, verriers, vidéaste anthropologues et nous l’espérons bientôt verriers népalais est la base de
cette démarche. La construction d’un regard commun sur des bracelets en verre protohistoriques
fragmentaires ou complets, de leurs décors et de leurs défauts, permettra d’avancer sur ces questions
techno-typologiques. L’objectif, à terme, et il est ambitieux : présenter ces objets dans leurs écologie, à
l’exemple du travail mené il y a quelques années par Pierre Pétrequin et son équipe sur les haches polies.
Avril 2011,
Joëlle ROLLAND, Yves LE BECHENNEC, Joël CLESSE, Stéphane RIVOAL.
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Remerciements :
Nous souhaitons remercier le Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis pour son accueil à
l’occasion des nuits des Musées 2010.
Merci aussi à la municipalité de Pantin, et particulièrement à Geneviève Michel, conservateur du
patrimoine, directrice des archives, de la documentation et du patrimoine, pour son accueil et sa
participation au projet.
Merci à toute l’équipe du CERFAV, centre européen de recherches et formation aux arts verriers,
pour leur accueil lors des Journées européenne du Patrimoine 2010 et leur implication dans le projet.
Merci à toute l’équipe de l’association Franciade, pour leur enthousiasme et leur implication dans le
projet, et particulièrement à Liney Serrano pour la réalisation des creusets.
Nous tenons à remercier chaleureusement Marie Lecompte-Tilouine, anthropologue CNRS, de nous
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avoir permis l’accès à son film documentant le travail des verriers népalais, sans lequel ce projet aurait
été bien différent.
Merci à Daria Cevoli, chargée de collections Asie au musée du quai Branly, de nous avoir permis
d’accéder aux objets ramenés du Népal par Marc Gaboriau.
Nous remercions également l’équipe photos du bureau de l’Archéologie du service patrimoine du
conseil Général de Seine Saint-Denis, Emmanuelle Jacquot et Isabelle Gaulon pour leurs photos des
bracelets en verre celtiques.
Bibliographie :
FOY 2003
FOY D. (dir.) (2003) - Cœur de verre, Production et diffusion du verre antique, catalogue d’exposition,
pôle archéologique du Rhône, Infolio éditions. Gollion.
GABORIAU 1977.
GABORIAU M. (1977) - Bracelets et grosses perles de verre, fabrication et vente en Inde et au Népal, in
Objets et mondes, tome 17, fasc.1.
GARDI 1970.
GARDI R., (1970) - Les verriers de Bida, in Artisans africains, Wabern, Büchler et Cie.
HAEVERNICK 1960
HAEVERNICK T. E. 1960 - Die Glasarmringe und Ringperlen der Mittel- und Spätlatènezeit auf dem
Europäischen Festland, Rudolf Habelt Verlag, Bonn.
MARION S., METROT P. et LE BECHENNEC Y. (2005) - L’occupation protohistorique de Bobigny (SeineSaint-Denis). In : BUCHSENSCHUTZ O. (dir.), BULARD A. (dir.), LEJARS T. (dir.). — L’Äge du Fer
en Île-de-France : XXVIe colloque de l'Association française pour l'étude de l'Âge du Fer, Paris et Saint-
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Denis, 2002. Thème régional. Tours : FERACF, 2005, p. 97-126, 31 fig., bibliogr. p. 124-126.
(Supplément à la Revue archéologique du centre de la France ; 26).
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VENCLOVA, 2006.
VENCLOVA N., (2006) – Le verre celtique de Nemvice Nad Hanou, Dossiers d’archéologie, 313, p.50-55.
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